Portrait de Abdeljalil Bouzouggar, archéologue et professeur à l’INSAP

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Portrait de Abdeljalil Bouzouggar, archéologue et professeur à l’INSAP

Raconter l’histoire de l’Homme en faisant parler les pierres, telle est la passion d’Abdeljalil Bouzouggar. Une passion qui a conduit cet archéologue à faire plusieurs découvertes au Maroc, dont la plus importante lui a valu la reconnaissance internationale dans sa discipline. C’est d’ailleurs dans un laboratoire plein d’échantillons que nous le rencontrons en compagnie de son collègue britannique de l’Université d’Oxford avec lequel il travaille depuis plus de 13 ans. Rigoureux et exigeant envers ses étudiants, Abdeljalil Bouzouggar n’en est pas moins affable. A l’entendre parler de sa discipline, l’on a l’impression que les milliers d’années ne représentent que quelques heures dans la vie, ce qui, dit-il, lui fait apprécier encore davantage le temps passé avec sa famille et ses enfants. Abdeljalil Bouzouggar est né à Marrakech en 1968.

De père militaire, il grandit dans un quartier où cohabitaient Marocains et coopérants français. C’est dans cette ville qu’il fait ses études jusqu’au baccalauréat décroché en 1987 dans une filière scientifique. Il faut dire que le jeune Abdeljalil caressait au départ le rêve de devenir médecin. Mais c’est sa rencontre avec une enseignante française de son collège qui lui fait changer d’avis. «Je me rappelle qu’elle nous racontait des choses fabuleuses sur l’histoire de l’Homme en ne se basant que sur des pierres et des ossements. Adolescent que j’étais, je demeurais très sceptique quant à la véracité de ce qu’elle avançait», se souvient Abdeljalil . Une fois le bac en poche, il passe le concours de l’Institut national de l’archéologie et du patrimoine (INSAP) de Rabat.

Dès sa première année, il est conforté dans son choix et opte pour des études en préhistoire. «Comparée aux autres filières proposées (histoire préislamique, anthropologie…), la préhistoire était pour moi la discipline qui présentait la marge d’erreur la moins importante à cause du fait qu’elle ne reposait pas sur l’étude d’écrits, forcément subjectifs puisque humains», explique-t-il. Adepte de la rigueur scientifique et passionné, Abdeljalil Bouzouggar obtiendra davantage de bonnes notes dans des matières comme la cartographie ou la géologie, ce qui lui permet d’être major de sa promotion au bout de quatre ans d’études.

Mettre l’archéologie au service du tourisme

Avec son diplôme de second cycle en archéologie préhistorique, il profite des partenariats franco-marocains pour obtenir une bourse d’études afin de préparer un DEA à l’Université de Bordeaux I, connue pour son département prestigieux des études en préhistoire. Il y décroche en 1993 son diplôme d’études approfondies en géologie du quaternaire, préhistoire et anthropologie biologique et, 4 ans plus tard, un doctorat en géologie du quaternaire et préhistoire. Après avoir été formé par les plus éminents professeurs dans le domaine, il lui était alors possible de rejoindre n’importe quel site de fouille de par le monde. Il préférera pourtant rentrer au pays. «J’avais toujours en tête l’idée de revenir au Maroc», déclare-t-il. «Premièrement, parce que c’est mon pays, mais également parce que j’y décelais un terrain très intéressant pour les fouilles».
Dès son retour, il commence à travailler sur un site de fouille à Témara tout en enseignant à l’INSAP.

Mais la passion de la discipline étant la plus forte, Abdeljalil Bouzouggar renoue avec les études pour un deuxième doctorat en archéologie qu’il effectue à l’Université d’Etat de Liège en Belgique qu’il soutient en 2002. Ce n’est qu’à partir de cette date-là qu’il commence réellement les travaux de recherches pour lesquels il recevra la reconnaissance de l’Académie nationale des sciences aux Etats-Unis (NAS). Il découvre ainsi, dans la grotte des Pigeons à Tafoughalt, dans la région de l’Oriental, des coquillages marins perforés qui remontent à

82 000 ans, soit parmi les plus anciens objets de parure au monde découverts jusqu’ici. La découverte est telle que plusieurs institutions et écoles internationales participent aux travaux de recherches. C’est ainsi que l’archéologue marocain est chercheur-associé au Max planck institute for evolutionary anthropology en Allemagne et à l’Institut d’archéologie à l’Université d’Oxford au Royaume-Uni. Il est depuis 2006 président de la Commission scientifique internationale n°34 «Milieux, techniques et cultures du Paléolithique de l’Afrique du Nord-Ouest» de l’Union internationale des sciences préhistoriques et protohistoriques (UISPP). Il enseigne également au Maroc en tant que professeur habilité à l’Université Mohammed V – Agdal et à l’INSAP où il est le chef du département de préhistoire.

Il n’a jamais regretté son choix de revenir au Maroc, même s’il déplore quelquefois le manque de moyens financiers pour l’acquisition du matériel nécessaire, par exemple. «Pour la datation des coquillages que nous avions découverts, on a dû faire appel au matériel et aux experts de la Gendarmerie royale». Des contraintes qui, loin de le décourager, ne font que l’inciter à redoubler d’efforts, tout en le poussant à prendre en considération tout l’écosystème qui gravite autour de la discipline. «Il faut appuyer une partie de l’économie locale des régions marocaines sur le tourisme culturel qui naît de ces fouilles et des travaux de recherches y afférents», souligne-t-il. Car s’il est vrai que le travail de l’archéologue consiste à reconstituer et de raconter notre histoire, cette histoire peut être vendue sous forme de musées ou de visites de sites afin d’en faire bénéficier la population locale.

Source: La Vie Eco