« La transmission », thème de la troisième édition, est précisément une problématique universelle, au cœur de l’humain, portée par l’aspiration à penser le Maghreb que nous voulons transmettre, à l’ancrer davantage au sein de l’Afrique et du monde. Nous sommes héritiers de valeurs, de cultures, de langues, de biens, de convictions que nous sommes à notre tour en charge de léguer. Faut-il transmettre à l’identique nos traditions, nos convictions, sans l’intelligence et la passion qui les fondent, comme une bougie qui n’éclaire que le bras qui la porte ? La transmission n’est pas la becquée. Transmettre, n’est-ce pas aussi apprendre à réinventer, à transgresser lorsque les circonstances l’imposent ? Plus encore, la transmission à l’identique ne risque-t-elle pas de conduire à la fermeture, puis à l’extrémisme ou à l’extinction ? Combien de civilisations prestigieuses se sont tues faute d’avoir su se renouveler ?
Quelles valeurs transmettre pour préparer le « vivre ensemble » à l’ère de l’intelligence artificielle à laquelle rien ne semble nous préparer aujourd’hui ? Face au développement des nouvelles technologies, quelles compétences transmettre, quand près de deux métiers sur trois exercés aujourd’hui ne le seront plus demain ? Quelle propédeutique enseigner pour faciliter l’acquisition des savoirs et comportements nouveaux ? Quelle sera notre place quand le contrôle du numérique se joue entre GAFAM et BATX , sans qu’il ne soit en rien question d’un espace vital pour d’autres ? Comment nos cultures survivront-elles et qu’adviendra-t-il des patrimoines, des biens et des entreprises, transmis dans cette tourmente ?
Admettons, avec les philosophes que l’intelligence humaine se mesure aussi à l’aptitude de chacun à faire face à l’imprévu et à l’incertain. La responsabilité de préparer aux mutations qui s’annoncent est immense. Qui s’en chargera ? La famille ? L’école ? Les intellectuels ? Les médias ? Et comment le faire ? Comment transmettre aux nouvelles générations ce qui fondera les valeurs de demain ? La transmission est aussi ascendante et horizontale : nos jeunes nous enrichissent de leur vision du monde et apprennent entre eux.
Nos écoles vivent un double défi : transmettre des savoirs fondamentaux et préparer à affronter des lendemains inconnus. Nul doute que la transmission conservera l’inviolable, le patrimoine matériel et immatériel sanctuarisé comme inaliénable, au niveau de nos territoires, de nos pays et de toute la planète. Des arbitrages sont à faire, des intelligences à mobiliser, sans distinction de nationalités, de cultures, de religions, de croyances, au sein desquels hommes et femmes partageront raisonnablement la responsabilité.
Cet argumentaire fait délibérément écho au brillant dialogue publié en 2003 sous le titre « Éloge de la transmission » . Seize ans plus tard, la donne a changé et la question de la transmission nous revient avec des interrogations multiples et urgentes sur nos modèles de développement. Cette 3ème édition de « Lettres du Maghreb » constitue un espace de liberté où nous invitons les penseurs, les auteurs, les créateurs, les décideurs, à exprimer l’ambition d’une transmission lucide pour un monde meilleur.